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Petite enfance

Temps de lecture : 8 minutes

Sommaire

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Mis à jour le 18/10/2023

Grandir avec un frère ou une sœur polyhandicapé(e) a forcément des répercussions sur la vie des jeunes enfants. Ces répercussions sont souvent complexes, positives et négatives, en fonction de la place des enfants au sein de la fratrie, des personnalités de chacun, de la nature des relations au sein de la famille… Elles évoluent. Et elles sont « normales ». Toutes les familles ont à composer avec tout un faisceau de problématiques ; le polyhandicap d’un enfant vient parfois seulement les souligner.

Les effets de l’annonce sur la fratrie

Dans leur petite enfance, les frères et sœurs peuvent avoir à vivre l’annonce, faite en une fois ou progressive, du polyhandicap de leur frère ou sœur. Elle peut être vécue différemment selon la nature de chacun et selon la façon dont elle est faite. Elle constitue néanmoins un choc, parfois un véritable traumatisme : « Le traumatisme sidère, c’est un effet de blanc : on ne pense plus, ne ressent plus, le temps s’arrête »1. Les enfants ne perçoivent pas toujours tout de suite en quoi leur frère ou sœur est différent et ce que cela peut impliquer. Ce à quoi ils sont surtout sensibles à cet âge, c’est à la réaction et aux émotions de leurs parents et de l’entourage. Ils ressentent la sidération, le désarroi, la souffrance, les doutes… Ils remarquent qu’il y a une rupture, un avant et un après, que la vie de la famille s’organise différemment autour de cette nouvelle réalité.

Il est important pour les frères et sœurs que des mots soient posés sur ces bouleversements. Pour qu’ils soient rassurés et puissent se sentir en sécurité, besoins fondamentaux à ces âges. Il n’est pas toujours facile de parler, de trouver les mots, quand on est soi-même bouleversé (c’est le propre du traumatisme). On peut aussi ne rien dire pour protéger les enfants, dans l’idée qu’ils sont trop jeunes pour comprendre, que c’est les exposer à des réalités trop complexes, douloureuses… Mais les enfants risquent alors de se sentir tenus à l’écart, exclus. Ils auront tendance à essayer de trouver eux-mêmes les raisons des changements observés, car ils ont besoin de sens. Et, comme à cet âge, ils considèrent les choses de leur propre point de vue, ils peuvent facilement se sentir responsables du polyhandicap de leur frère ou sœur, de la peine de leurs parents. Des sentiments de culpabilité, avec tout ce qu’ils peuvent entraîner de repli, d’échec et d’impuissance, peuvent s’installer. Au contraire, si la différence est dite, si les émotions sont exprimées, les enfants pourront plus facilement donner un sens aux changements et émotions observées.

Problématiques rencontrées

L’annonce est une première étape, les enfants ont aussi à vivre et construire leur relation avec leur frère ou sœur polyhandicapé(e). C’est pourquoi il est important de continuer de leur accorder de l’attention, de les écouter, de les inviter à parler, à exprimer leurs ressentis.

Jalousie et ambivalence des sentiments

Les ainés ressentent généralement de la jalousie à l’égard de leur cadet. L’enfant nouveau venu auquel les parents consacrent l’attention et les soins nécessaires vient rompre l’équilibre préexistant, suscitant des sentiments ambivalents d’amour et de haine. Ces manifestations sont tout à fait normales, elles font partie du développement de l’enfant. Et tous les enfants, quelle que soit leur place dans la fratrie, éprouvent tôt ou tard ces sentiments, dès lors qu’ils sentent que l’un deux possèdent quelque chose qu’ils n’ont pas : un jouet, une valorisation… Quand l’un des enfants est polyhandicapé, ce qui requiert beaucoup d’attention, ils peuvent être ressentis plus fortement encore. Les enfants peuvent penser qu’on accorde plus d’importance aux progrès de leur frère ou sœur polyhandicapé(e) qu’à leurs propres réussites. La jalousie peut s’accompagner d’un sentiment d’abandon. « La blessure narcissique des autres enfants, le « je ne compte plus » peut se manifester par de nombreux symptômes, comme les troubles de l’apprentissage, du sommeil, la dépression, par l’hyperactivité ou la colère, tous destinés à capter l’attention et à manifester la crainte d’être moins aimé. »2 Les pensées magiques, les mauvaises pensées qui se réalisent sont une autre expression de cette jalousie qui peut renforcer le sentiment de culpabilité.

Exprimer ses sentiments

Il est important que les enfants puissent exprimer ces sentiments de jalousie, d’agressivité, en parlant avec les adultes et entre eux aussi, à travers leurs jeux, dans des limites bien sûr acceptables. Cela les aide à se construire, à composer avec leurs émotions pour ensuite les dépasser, à comprendre la limite de l’autre et à construire leurs relations fraternelles. Ne pas les exprimer, c’est les refouler, c’est compliquer cette relation et courir le risque que ces affects négatifs se retournent alors contre l’enfant lui-même, pouvant aller jusqu’à l’autopunition, ou alors qu’ils se déplacent sur d’autres, des camarades d’école par exemple. Or quand leur frère ou sœur est polyhandicapé(e), il est difficile pour les enfants d’exprimer ces sentiments sans se sentir coupable : ils savent leur frère ou sœur vulnérable, ils craignent d’ajouter aux soucis de leurs parents…

L’enfant sage et le désir de réparation

Culpabilité, prévenance à l’égard des parents, refoulement peuvent aussi s’exprimer de façon plus discrète. Certains enfants peuvent avoir tendance à s’effacer, à être des enfants très, trop sages, « en tout cas conformes aux attentes perçues, exprimées ou non, des parents »3. Cela ne signifie pas que tout va bien pour eux, les émotions qu’ils taisent et enfouissent en eux continuent parfois de les habiter bien longtemps après et de les empêcher d’être pleinement eux-mêmes. Les enfants peuvent également se montrer pleins de sollicitude envers leur frère ou sœur polyhandicapé(e), dans un désir plus ou moins conscient de « réparation ». Un homme raconte ainsi que, dans son enfance, il a tenté de modifier l’état de son frère handicapé par des pensées magiques : « S’il peut me donner un peu de son handicap, moi je serai un peu moins intelligent mais lui le sera un peu plus. Je mettais ma tête contre la sienne, et je pensais équilibrer les choses comme ça ». Cette tentative de réparation « directe », vouée à l’échec, conduit souvent le réparateur au sentiment d’impuissance.4

Processus d’identification / différenciation

Dans toutes les familles, les enfants se construisent en se reconnaissant dans les autres, puis en se différenciant d’eux. Le polyhandicap d’un aîné relève d’abord pour les cadets d’une forme de « normalité ». Il se peut ainsi qu’en s’identifiant à lui, ils éprouvent des difficultés à s’autonomiser ; certains ne s’autorisent pas à lire, par exemple, par crainte de « dépasser » leur aîné.

Pistes à suivre

Dialoguer

La meilleure façon d’aider les enfants à grandir, à ne pas s’enfermer dans toutes ces problématiques et à les dépasser aux mieux, c’est l’attention, l’écoute et le dialogue. Au sein de la famille, entre tous les membres. Il est important d’y inviter, de l’encourager, de pouvoir s’y rendre disponible. Même si cela peut paraître difficile, même si on n’a pas toujours le temps ni l’énergie, communiquer, partager est libérateur et bénéfique pour tous, enfants comme adultes. Cela permet de mettre des mots sur les émotions, de faire émerger les tensions, les problèmes, pour ouvrir à leur résolution et à leur apaisement. Pour engager le dialogue avec les jeunes frères et sœurs et les aider à dire leurs sentiments, il est possible de s’appuyer sur des ressources existantes, des albums, des livres pour enfants, des petits films d’animation qui évoquent justement des vécus similaires au leur. Plusieurs références sont à télécharger depuis l’espace dédié en bas de la page.

Si les difficultés s’installent, si les frères et sœurs manifestent des « symptômes » tels que ceux qu’on a évoqués plus haut : troubles des apprentissages, dépression, hyperactivité… et que le dialogue au sein de la famille ou avec l’entourage ne suffit pas à apporter d’amélioration, il peut être utile de se tourner vers les professionnels qui pourront accueillir la parole de l’enfant et conseiller les parents : éducateurs et psychologues de la PMI, de la crèche, des établissements où le frère ou la sœur polyhandicapé(e) est suivi(e), psychologues libéraux… Les mairies peuvent également vous fournir des indications précieuses sur les structures et les dispositifs existants dans votre localité. Nous vous invitons également à consulter la thématique La collaboration aidants-professionnels de ce site.

Plusieurs structures (établissements, associations…) proposent par ailleurs des groupes de parole pour les fratries. Ces dispositifs, dont l’objectif est d’aider les fratries à penser et vivre le handicap, offrent un cadre précieux. Entre pairs, auprès de personnes extérieures, bienveillantes et à l’écoute, la parole peut se libérer plus facilement, surtout quand les enfants sont habités par la crainte de rajouter, par leurs propres préoccupations, du souci à leurs parents. Savoir que d’autres enfants connaissent des expériences, des sentiments similaires aux leurs peut les rassurer, leur permettre de rompre une certaine forme de solitude. Ils peuvent également découvrir les solutions que les autres mettent en place pour surmonter leurs difficultés, pour ensuite se les approprier. Les modalités d’échanges et d’expression proposées sont adaptées à leur âge, le dessin qui permet également de donner forme aux ressentis y est souvent privilégié, tout comme les jeux. Vous pouvez consulter à ce sujet l’article de Béatrice Lorant « Se préoccuper les uns des autres. Rencontres fratrie du CRMH » paru dans le n° 642 de la revue L’école des parents.

Accorder du temps

Il est aussi important de s’accorder du temps pour soi avec les autres enfants de la fratrie. Ces moments peuvent être individuels ou collectifs, en fonction de vos envies et celles de vos enfants. Un temps qui soit « de qualité » où le parent est disponible, avec l’enfant : un jeu, une promenade, accompagner l’enfant à son entraînement de foot ou à sa leçon de piano… Ce temps passé ensemble est une marque d’attention, il contribue à ce que l’enfant se sente aimé, rassuré, valorisé.

Proposer des activités adaptées et collectives

Proposer des activités adaptées que les enfants de la fratrie pourront partager, tous ensemble ou selon les âges, avec leur frère ou sœur polyhandicapé(e), peut aussi aider les enfants à tisser ou renforcer leurs liens entre eux, à mieux inclure l’enfant polyhandicapé. Dans ces moments partagés en famille, le rire, l’humour surgissent plus facilement et il est bon de savoir l’accueillir, car il est une façon de donner forme aux émotions tout en les mettant à distance. Vous trouverez des idées d’activités dans la thématique Soutenir les compétences cognitives et des idées de sortie dans la thématique Loisirs et vie sociale de notre site.

Tout cela, donc, pour aider les frères et sœurs d’enfant polyhandicapé à se construire, à surmonter leurs difficultés et à vivre pleinement leur enfance.

Pour aller plus loin