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Âge adulte

Temps de lecture : 10 minutes

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Mis à jour le 18/10/2023

Parvenus à l’âge adulte, les frères et sœurs ont généralement fait le deuil d’une guérison possible. Ils peuvent maintenir des liens plus ou moins étroits avec leur famille et leur frère ou sœur polyhandicapé(e), ou alors avoir pris leurs distances. Ils se sont construits et ont construit une vie aussi en dehors de cette réalité du handicap. Mais ils s’y retrouvent bien souvent confrontés de nouveau quand leurs parents, avançant en âge, ont de plus en plus de mal à assurer son accompagnement. La question de l’avenir de leur frère ou sœur une fois les parents disparus se pose alors. Et celle du meilleur accompagnement à lui offrir, dans le respect de ses aspirations, tout comme dans celui de leurs aspirations à eux. Il n’y a pas de bon ou mauvais choix, il y a ce qui est possible, souhaité par chacun, à un moment donné. Et les choses peuvent toujours évoluer.

L’avancée en âge et la disparition des parents : le choix de la tutelle

Prise de relais des parents et choix de la tutelle

L’avancée en âge des parents, avec ses conséquences sur le plan de leurs capacités à s’occuper de leur enfant polyhandicapé et la mort des parents sont une étape capitale dans la vie de la fratrie. Le travail de deuil se conjugue à la question de l’héritage, matériel et symbolique. Les frères et sœurs sont renvoyés à la question de leur place dans la famille, à celle de leurs liens familiaux et fraternels, qui peuvent s’en trouver renforcés ou mis à mal.
Quand l’un des enfants est polyhandicapé, ces problématiques se doublent de celle de la protection qu’il convient de lui apporter. Cette question n’attend pas la mort des parents, elle s’impose dès qu’ils avancent en âge et qu’il leur devient plus compliqué de s’en occuper. Elle est même bien souvent présente, de façon plus ou moins consciente, dans l’esprit des frères et sœurs, dès l’adolescence, voir l’enfance, surtout s’ils sentent que leurs parents eux aussi, plus ou moins consciemment, attendent de l’un d’entre eux qu’il prenne leur suite. Elle peut alors orienter leurs choix de vie et leurs choix professionnels, comme cette jeune femme qui témoigne :

« De toute façon c’était évident pour tous que ce serait moi, pas la peine de m’en parler. J’ai choisi la profession de professeur en pensant à cela, et mes frères et sœurs, sans que je l’aie jamais dit, le savaient. »1

Comme pour toutes les problématiques rencontrées par la fratrie au long de leur vie, il est préférable d’aborder cette question, d’en parler en amont dès qu’elle se dessine, afin que les non-dits ne viennent pas peser sur la vie des frères et sœurs. Des entretiens menés par Régine Scelles avec des fratries, il ressort bien que « d’avoir parlé de l’avenir avec leurs parents, et ce dès l’enfance, allège considérablement leurs difficultés, contribue à pacifier leurs relations fraternelles et permet de choisir plus librement et sans excès de culpabilité, de devenir tuteurs ou non de leur pair »2.

Ce qui compte aussi beaucoup, c’est d’aborder cette question avec la personne polyhandicapée elle-même, quand bien même elle peut avoir du mal à se représenter tout ce que cela implique. Il est important de prendre en compte ses désirs à elle, d’être à l’écoute de ce qu’elle peut exprimer afin de lui permettre d’être le plus possible actrice de sa vie et de son devenir. Cette prise en compte est également bénéfique pour les frères et sœurs ; cela peut les aider à se sentir moins seuls face à cette responsabilité, l’avenir de leur frère ou sœur peut résulter d’une construction commune dans laquelle les libertés de chacun sont mieux respectées et les liens fraternels renforcés de façon gratifiante.

Il ressort également des entretiens menés par Régine Scelles qu’il est important de réfléchir aux raisons qui peuvent pousser un frère ou une sœur à accepter ou refuser le rôle de tuteur : poursuivre avec la personne une relation instaurée dès l’enfance, maintenir l’image d’une famille unie, trouver une place valorisante au sein cette famille, nier inconsciemment la disparition des parents en faisant ce qu’ils faisaient… Ils montrent encore qu’il est important aussi de bien se renseigner sur ce en quoi consiste ce rôle et sur tout ce qu’il implique dans ses dimensions pratiques, affectives, relationnelles. Car, malgré toute l’implication, le bon vouloir et la bienveillance du tuteur, ce rôle peut se révéler difficile, soulever beaucoup de questions, susciter de l’angoisse, de la culpabilité, des frustrations. Bien prendre en compte tous ces éléments peut aider à décider en conscience, à se sentir libre d’accepter ou de refuser la tutelle sans culpabiliser. Sachant que les choses peuvent aussi évoluer, qu’un frère qui refuse d’assurer la tutelle à 20 ans peut souhaiter le faire à 40 ans.

Le rôle de tuteur

Pour plus de précisions sur le rôle de tuteur, vous pouvez vous rapprocher des dispositifs d’appui à la coordination (DAC), qui vous aiguilleront sur le sujet3. On peut simplement rappeler ici que « le tuteur ou curateur a pour mission de veiller au bon suivi des dossiers administratifs du majeur protégé, de défendre ses intérêts juridiques, de gérer ou d’aider à gérer son patrimoine et ses revenus. Il a l’obligation de s’assurer que ses conditions de vie sont décentes et d’y pourvoir en gérant avec discernement son argent »4. Cette charge implique aussi une part de gestion humaine ; si ce n’est pas une obligation légale, la question de la vie sociale de la personne polyhandicapée se pose aussi : comment l’aider, avec les professionnels, à en avoir une, dans son établissement, mais aussi au sein de la famille et éventuellement dans un cercle plus élargi ? De façon générale, outre le temps et l’investissement demandés, les aménagements pratiques, organisationnels et logistiques à mettre en place, être tuteur est une mission complexe qui représente une grande responsabilité et soulève beaucoup de questionnements.

La personne sous tutelle peut apprécier l’aide fournie, l’engagement manifesté, le soutien, les soins et l’amour apportés, se sentir rassurée et en sécurité… mais aussi en souffrir si elle se sent dans l’incapacité de rendre en retour. D’où l’importance de se montrer à son écoute et de l’accompagner dans l’expression de ses ressentis.

De son côté, le tuteur peut également souffrir de cette tension engendrée par son rôle, se demander comment faire pour ne pas infantiliser son frère ou sa sœur, s’interroger sur les limites de ses attributions, s’inquiéter d’outrepasser ses fonctions et craindre d’abuser de son pouvoir. Il peut en venir à penser que ce rôle l’empêche d’avoir de vraies relations fraternelles et souhaiter ne plus l’exercer.

La charge de tuteur peut également complexifier les rapports avec les autres frères et sœurs. Ceux qui n’assument pas cette tâche peuvent se sentir soulagés, vivre sereinement leur choix, mais se sentir aussi blessés de ne pas avoir été désignés par leurs parents, choisis par le juge, coupables de ne pas avoir accepté. Le tuteur, pour sa part, peut se sentir valorisé de la confiance qui lui est faite et du service qu’il rend, mais aussi seul dans son rôle, souffrir du moindre engagement de ses autres frères et sœurs, réel ou perçu, souhaiter que les responsabilités soient plus équitablement partagées, mais ne pas oser ou ne pas vouloir leur demander de l’aide, pour ne pas les culpabiliser, les surcharger, parce qu’il aimerait que cette aide vienne d’eux-mêmes. Il peut aussi se sentir jugé dans l’accomplissement de sa tâche, par eux ou par les professionnels avec lesquels il est amené à collaborer, que ce jugement soit avéré ou projeté, et souffrir de cette pression. Pour rompre cette solitude, évoquer toutes ces préoccupations, trouver des solutions, l’idéal est de pouvoir leur en parler, mais si ce dialogue est compliqué, il reste possible de se tourner vers ses amis ou des professionnels, qui pourront écouter, conseiller, aider.

Les autres étapes de la vie adulte

La question de la tutelle, si elle est capitale, n’est cependant pas la seule qui se pose une fois la fratrie devenue adulte. D’autres événements ou étapes peuvent venir cristalliser les questionnements, réactiver des émotions enfouies, souvent douloureuses à revivre, mais aussi fournir des occasions de réponses, apporter de nouveaux éclairages ou de nouvelles issues.

La vie professionnelle

Le choix de la profession, toujours complexe, peut se faire en rapport plus ou moins étroit avec le handicap. Beaucoup de frères et sœurs se tournent ainsi vers des professions médicales, d’accompagnement ou de soin à la personne, pour réparer, pour se sentir utile, pour mieux comprendre la nature et les origines des pathologies, parce qu’elles se sont identifiées aux professionnels qui se sont occupés de la personne enfant… Ils peuvent trouver de la satisfaction et de la gratification dans l’exercice de leur métier, mais ils peuvent aussi finir par s’y sentir aliénés dans le sens où cela les ramène toujours aux handicaps de leur pair. S’intéresser aux raisons et aux implications de ces orientations peut aider à mieux comprendre les problématiques vécues.

Vie familiale

La rencontre d’un partenaire éveille aussi souvent de nombreuses émotions. Comprendra-t-il mon vécu ? Acceptera-t-il la place qu’occupe ce frère ou cette sœur dans ma vie ? Comment lui en parler ? À quel moment ? Puis-je quitter mes parents et les laisser seul avec elle ou lui ? La personne polyhandicapée peut souffrir de ce départ ou de cet éloignement, d’autant plus qu’il s’agit de bonheurs qu’elle ne pourra pas forcément connaître, ce qui la renvoie douloureusement à sa propre situation. En parler avec elle peut l’aider à surmonter et à mieux s’accepter et, de façon plus générale, évoquer toutes ces questions peut permettre de faire évoluer les relations au sein de la famille et dans le couple de façon positive.

Le désir ou la naissance d’un enfant est aussi un bouleversement majeur qui, dans tous les cas, remodèle les perceptions et les relations familiales. D’autant plus lorsqu’un membre de la fratrie est en situation de polyhandicap. « À ce moment de leur vie, certains se sentent légitimés dans leurs questionnements sur le handicap par le risque encouru pour leur propre bébé. »5 Si des non-dits et des interdits existaient au niveau de ses origines, ils peuvent passer outre et se renseigner. Se pose aussi la question de ce qu’ils feraient si leur enfant était lui aussi atteint de handicap ; avorteraient-ils, ce qui peut être perçu comme une façon de renier leur frère ou sœur, pourraient-ils vivre la même chose que leurs parents, faire vivre à leurs autres enfants ce qu’eux ont pu vivre ? Certains préfèrent ne pas savoir, ne pas faire les diagnostics prénataux pour ne pas avoir à se confronter à ce choix. Le reste de la famille peut aussi connaître des sentiments variés, s’ils se réjouissent pour leurs enfants, les futurs grands-parents peuvent se trouver renvoyés au souvenir de ce qu’ils ont vécu, à leur culpabilité ou craindre que leur enfant devenu parent prenne de la distance avec son pair polyhandicapé. Encore une fois, le dialogue peut aider la famille et la fratrie à vivre au mieux tous ces moments.

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